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Entretien avec Cynthia Chazal

Entretien avec Cynthia Chazal

Tu es une artiste qui travaille sur la mort depuis longtemps... Avec tes différents médiums et techniques, pourquoi avoir travaillé sur le thème de la Vanité ?

Chacun s’accommode de ses angoisses comme il peut ! Travailler sur les vanités, pour moi, c’est contrer la mort, ce rendez-vous qui a été pris pour nous, sans que l’on sache exactement ni pourquoi, ni comment, ni quand.

Une assignation qui sonne comme un ordre : couché, pas bouger… plus bouger, jamais. La plus grande offense à notre liberté.

Que les choses soient claires, pour ma part je n'admire pas la mort, pas plus que je n'en ris, et je hais son intimité. Chacun côtoie la mort de façon différente. Le propos de mon travail n'est pas de l'ordre de la fascination pour la mort mais de l'urgente nécessité de la transcender.

Pourquoi travailler avec le même crâne ou même moulage de crâne ?

J’utilise sur le crane comme symbole de la mort et non comme relique.

Je travaille à partir de moulages de crânes que je fabrique en série, tous identiques, les plus neutres possible, une matrice où toute différenciation anthropométrique, toute didactique, ont été effacées.

Cette base, symbolique, doit absolument être neutre, ne pas être porteuse d’identification quelconque, de sexe ou d’âge. Cette neutralité est primordiale pour moi, car il ne s’agit pas de changer une identité qui serait déjà présente mais bien d’en crée une, d’insuffler la vie sur un symbole : la mort.

Ton travail est il pour toi plus décoratif ou plus poétique ?
Pourquoi ?

Mon travail est artistique, il est aussi un combat. Esthétiser le squelette, c’est lutter contre la mort avec ses propres armes. J’aime la préciosité, elle est pour moi un levier pour apprivoiser la mort. L’associer au symbole de la mort, à la vanité est un sentiment troublant, l’attirance distance la répulsion.

Je travaille la marqueterie, les pierres, les émaux, des matériaux qui portent déjà en eux une certaine noblesse…associés aux matériaux les plus anodins, des rebuts de la consommation sans histoire pour certains, en fait de véritables trésors laissés pour compte. J’aime la préciosité, surtout lorsqu’elle jaillit des choses les plus anodines, j’ai le sentiment de réparer une injustice.

As-tu une fascination sur le corps humain et plus précisément son squelette ?

Le corps humain me fascine en même temps qu’il me repousse. Je le perçois le plus souvent comme une prison où l’on subit la maladie, la vieillesse, la souffrance, la dégénérescence. Il a ses limites, et quand celles-ci ne sont pas en adéquation avec notre énergie, qu’il bafoue notre volonté et entrave nos désirs, il en découle de la colère, de l’incompréhension et un profond sentiment d’injustice.

Peux-tu nous donner une définition de la mort? Quelle est ta définition de la mort ?

Lorsque je m’interroge sur la mort (celle-ci demeurant pour moi une entrave), j’en reviens toujours à cette question centrale : quelles sont les modalités d’expression de la vie ? (avec ou sans corps, quid du transfert de la mémoire, de la génétique, etc. ?) Je t’épargnerai mes interminables réflexions à ce sujet.

Pour définir la mort, ce qui me vient à l’esprit est l’idée de la dispersion, dispersion des énergies, de la mémoire (mémoire personnelle, familiale, génétique), et bien évidemment de la matière.

Que penses-tu de l'embaumement ? Connais-tu certaines de ses techniques ? Aurais-tu une définition à proposer ?

Je connais les techniques de momification égyptienne, (environ 2 mois et demi de boulot !) visant à contenir justement l’âme, la personnalité dans son support, le corps. (maintenir l’union du corps et de l’esprit)

"Le transhumanisme considère certains aspects de la condition humaine tels que le handicap, la souffrance, la maladie, le vieillissement ou la mort subie comme inutiles et indésirables."
Qu'en penses-tu ?

Comme je comprends ! C’est un point de vue qui me parle, mais qui me confronte durement à ma propre vanité… et à la tentation ! Je suis partagée entre mon désir d’immortalité, d’être en bonne santé, et le fait que le transhumanisme est une forme d’eugénisme perfectionniste, et au final un appauvrissement de la vie dans tout ce qu’elle a de varié. Certains diront qu’il y a un juste milieu à trouver… la bonne conscience et le juste milieu se décalant progressivement en même temps que les avancées technologiques, à grand coup de « oui mais ».

Ceci étant, les progrès de la science et de la médecine me permettent d’être là, alors difficile de cracher dans la soupe !

Il y a cependant un groupe transhumaniste, Terasem, dont les préceptes m’intéressent fortement. Un de leurs principes élémentaires est la croyance dans l’esprit-fichier, soit la compilation digitale d’une personne.

Les membres téléchargent les détails de leur vie quotidienne et leurs pensées avec l’espoir que les avancées dans l’intelligence artificielle puissent un jour transformer ces esprits-fichiers en ce qu’on pourrait considérer comme une conscience humaine. Très honnêtement, je me laisserais bien tenter. L’idée de vivre dans un paradis artificiel sans prendre de l’espace aux personnes physiques vivantes me donne bonne conscience !

Que pourrais-tu dire sur le mot « immortel » ?

Mon grand rêve, l’immortalité ! Combien de temps me reste-t-il pour jouir de l’éternité ? Pour moi chaque jour qui passe est du temps en moins, chaque création est du temps en plus. Et comme l’œuvre restera, je lui appose mon empreinte digitale comme signature, seule certitude de mon identité, pas de quoi pérenniser l’espèce, juste ma vanité et l’espoir d’une éternité !

Entretien avec Cynthia Chazal - juin 2016