Embaumements.com

Henry COUTAGNE

Lors des obsèques du docteur Henry Coutagne le 18 novembre 1895, ses amis et collègues dressent unanimement le portrait d’un homme que le lignage destinait à une brillante carrière médicale. Troisième génération de médecins, il aurait pourtant pu embrasser la vie d’artiste, étant consumé jusqu’à la fin de sa vie par la flamme de la musique. Né à Lyon le 4 juillet 1846 et manifestant très jeune des prédispositions pour le piano, il participe dès l’âge de 8 ans à des concerts amateurs. Perdant sa mère prématurément, le jeune Henry se lance pourtant dans des études médicales, suivant ainsi la volonté de son père. Ce dernier, le docteur Denis Coutagne, est alors solidement ancré dans le tissu médical lyonnais étant le secrétaire et ami du grand chirurgien de l’Hôtel-Dieu, Jean-Marie Viricel. Habitué du festival wagnérien de Bayreuth, ce n’est finalement qu’à partir des années 1890 qu’Henry se décide à revenir vers sa passion première, intégrant l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Lyon le 24 novembre 1891. L’accession d’Emile Guimet à l’éméritat libère effectivement une place à la IVe section, celle des beaux-arts, ouvrant la voie à la reconnaissance du compositeur et critique musical Coutagne. Son admission dans cette vénérable société savante lyonnaise lui permet de vivre au grand jour ce qui restera son seul et unique grand amour, n’ayant jamais été marié, avec des publications en 1892 sur Les drames musicaux de Richard Wagner, en 1893 sur Gaspard Duiffoproucart et les luthiers lyonnais du XVIe et enfin en 1895 sur Les instruments à archers du XVIe siècle.

A la fois artiste et scientifique, ce titulaire de la rosette d’officier de l’instruction publique porte donc le double masque de Janus. Amateur d’opéra, tout comme le jeune Edmond Locard qui n’a pas encore intégré le réseau de Lacassagne, Coutagne vit un final des plus dramatiques. Malade depuis janvier 1895, il voit sa santé de dégrader rapidement, étant alité à partir du mois de juin, et meurt de façon précoce le 15 novembre 1895, à l’âge de 49 ans, laissant sous presse un dernier livre qui sera diffusé quelques mois plus tard. La postérité ne retiendra pourtant pas ce pan artistique mais uniquement les apports scientifiques de cet homme-clé de l’histoire de la médecine lyonnaise.

Henry Coutagne s’impose effectivement comme l’un des piliers de la toute nouvelle faculté de médecine ainsi que de la fameuse école de criminologie lyonnaise. Nommé interne au concours des hôpitaux de Lyon en 1866, passé ensuite par Montpellier, Strasbourg et enfin Paris, il fait partie de l’ambulance de Léopold Ollier durant la guerre face à la Prusse. En 1871, alors que le conflit s’achève avec l’humiliation de Versailles, il soutient une thèse sur la fièvre herpétique devant la faculté de Paris, démontrant au final qu’il ne s’agit pas de la manifestation locale d’une maladie générale. S’il concourt à la place de médecins des hôpitaux en 1874, c’est vers la médecine légale qu’il finit par se tourner, et ce avec succès. A partir de la fin des années 1870, il devient ainsi une figure incontournable de cette discipline. A la faveur de l’institution de la faculté de Lyon en 1877, il devient le chef de travaux de médecine légale. Il intègre parallèlement la liste des experts de la cour d’appel de Lyon, la double disparition d’Elisée Français et d’Emile Gromier laissant un grand vide. Lors de l’affaire Motuel en octobre 1879, il est ainsi appelé à réaliser l’autopsie d’un cadavre découvert montée du Gourguillon. Son rapport invalidant l’argument de légitime défense argué par l’accusé, ce dernier se voit finalement condamné.

Cette même année 1879, Coutagne devient membre du comité de rédaction du Lyon Médical. La rencontre décisive avec Alexandre Lacassagne intervient quelques mois plus tard. Coutagne se met alors à épauler celui qui succède à Gromier pour la chaire de médecine légale, Cazeneuve récupérant celle de toxicologie, mettant sur pied ensemble le laboratoire de la faculté ainsi qu’un musée qui devient rapidement une référence. Auteur en 1881 d’une traduction annotée du Traité de médecine légale d’Alfred Swaise Taylor, Coutagne intègre trois ans plus tard l’équipe de la nouvelle infirmerie protestante de la Croix-Rousse. La collaboration avec Lacassagne  prend une nouvelle tournure en 1886 avec la fondation des Archives de l’Anthropologie Criminelle, le pénaliste René Garraud complétant le triumvirat dirigeant la revue. Coutagne contribue à donner l’impulsion initiale aux Archives, signant pas moins de trois articles dans les premières semaines, dont un consacré à « L’avortement criminel démontré au bout de plusieurs mois ». Il approfondit ainsi la question des déviances sexuelles, un sujet qu’il avait défriché au cours de sa thèse et poursuivi au début des années 1880 avec des études parues dans le Lyon Médical sur le chancre syphilitique, la sodomie ou encore les « ruptures utérines pendant la grossesse et leur rapport avec l’avortement criminel ». Alexandre Lacassagne, qui comprend mieux que quiconque tout l’intérêt du rapprochement entre médecine et justice, dispensant des cours à la faculté de droit, aidé en cela par René Garraud, parvient à convaincre Coutagne de l’imiter dans cette démarche.

Au cours de l’année universitaire 1887, celui-ci propose ainsi huit conférences autour de la question de la folie au point de vue judiciaire et administratif. D’un naturel introverti et renfermé, Henry Coutagne prouve ainsi sa capacité à participer à une œuvre collégiale. Il fait montre de la même ouverture quand, deux ans plus tard, il collabore avec le docteur Florence sur le problème des empreintes de pas, mettant à profit plusieurs découvertes opérées au cours de récentes procédures criminelles tel que l’assassinat de la Croix-Rousse de 1886. Cet article, qui s’inscrit dans une réflexion plus globale sur l’identification, avec notamment le travail fondamental du médecin écossais Henry Faulds sur les empreintes digitales publié dans la revue Nature, sera développé par André Frécon dans la thèse qu’il soutient en 1889 à la faculté de médecine et de pharmacie de Lyon. Aboutissement de ces différents engagements, Coutagne accède au milieu des années 1890 au fauteuil de président de la Société des sciences médicales, véritable bâton de maréchal pour ce praticien si rigoureux. Cette consécration vient éclaircir un horizon particulièrement sombre en ces dernières années. Il ne pourra d’ailleurs jamais honorer cette fonction honorifique que ses pairs lui avaient octroyée par reconnaissance, étant déjà atteint par la maladie.

La fin de son existence est effectivement marquée du sceau du retrait. En 1893 pour commencer, l’association des trois directeurs des Archives de l’anthropologie criminelle n’est pas reconduite. Coutagne et Garraud prennent le statut de simples collaborateurs, tandis que le magistrat Gabriel Tarde rejoint Lacassagne à la tête de la revue. Cette même année, Coutagne voit son rôle d’expert judiciaire fortement remis en cause à l’occasion de ce qui constitue, sans qu’on le sache encore, les prémisses de l’affaire Richetto. Appelé par le juge d’instruction Vial à autopsier la femme Bernaz retrouvée assassinée au 55 du cours Gambetta, il doit essuyer les critiques des autres acteurs de l’enquête. Le commissaire de la sûreté Ramondenc pointe ainsi du doigt le contenu du rapport d’expertise, estimant que l’homme de l’art n’a pas étudié avec le soin nécessaire les taches relevées sur la chemise de l’un des suspects. De son côté, Vial, le même magistrat qui avait déjà fait appel à Coutagne lors du meurtre de 1879, fustige l’extrême lenteur avec laquelle le médecin assure sa mission : « Voilà un mois que l’assassinat du cours Gambetta a eu lieu et nous n’avons eu encore à ce jour ni un seul rapport ni une seule visite du médecin expert ! Quatre lignes seulement disant que les recherches n’ont rien produit de décisif ». Si une telle critique s’avère habituelle sous la plume des magistrats, elle est rarement formulée de façon aussi incisive. Bénéficiant de la mésentente dans la direction de l’enquête, Richetto passe d’ailleurs, cette fois du moins, entre les mailles du filet de Thémis.

En juin 1894, Coutagne participe à l’un des plus sombres épisodes de l’histoire de Lyon, l’assassinat de Sadi Carnot alors en visite dans la capitale des Gaules. Aux côtés de Lacassagne, Ollier, Poncet, Lépine, Rebatel, Gangolphe et Fabre, il prend part à l’autopsie du président pratiquée dans le salon de la préfecture du Rhône. En 1894 toujours, il doit renoncer, la mort dans l’âme, à une série de cours destinés à la faculté de droit, n’étant pas en mesure de les assurer physiquement. Alexandre Lacassagne impute son décès en 1895 à « l’air putride » et aux régulières blessures accompagnant sa pratique de la médecine légale, la vétusté de la morgue flottante étant incriminée. Le précis de médecine légale, dont la rédaction avait été amorcée fin 1894, est finalement mis sous presse au milieu de l’année 1896, Georges Coutagne rendant ainsi un ultime hommage à son frère prématurément disparu.