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Jean Baptiste Carhaix

Quelle est ta définition de la mort ?

Autoportrait - 2013

POINT DE VUE SUR LA MORT C'est le titre donné par Robert Pujade (philosophe de la photographie) à ma série Danses Macabres, Trophées et autres Vanités (titre très ambigu, nous le verrons plus avant). Lorsque j'étais plus jeune, j'avais trouvé cette définition de la Mort signée Jean Cocteau : «La mort est une naissance à l'envers» ! Cette assertion poétique très énigmatique me tracassait. Cocteau pensait-il la mort comme une nouvelle forme de vie ? Plusieurs années après, j'apprenais qu'en fait, il aurait dit : «Je ne redoute pas la mort. Elle est comme une naissance à l'envers». Je ne crois pas à une «vie» après la mort (sens d'une «naissance à l'envers» ? Pas sûr.) mais comme le poète je ne redoute pas celle-ci.

Tout d'abord, je ne crois pas à «l'âme», une entité impalpable détachable de la pensée conceptuelle née dans le cerveau qui serait vouée à une vie éternelle. Je crois à la seule psyché née de relations bio-chimiques entre les neurones. Laquelle disparaît dès l'arrêt du cœur signant la mort physique ou qui peut être perturbée par les maladies dites «mentales» ou dégénératives (le syndrome d'Alzheimer dont ma mère était atteinte) ! Et je fais mienne la phrase du philosophe Jean-Luc Nancy (qui vit avec un cœur greffé depuis 1991): «Le monde ne repose sur rien et c’est là le plus vif de son sens ». Pas de Créateur, de dessein intelligent, pas d'âme sauf en métaphore poétique.

Colonne de crânes dans le salon

Les Chrétiens, par exemple (mais non seulement) croient à une angélique fable de la survie de leur âme à la mort physique. Ils veulent être certains qu'elle rejoindra un Paradis et ils se torturent toute leur vie pour le mériter et ainsi éviter l'Enfer (d'autres se font exploser pour y parvenir, non sans tuer des innocents). Éviter l'Enfer: on a vu ce que cela a donné lorsqu'au XIIe siècle, lorsque l'Église inventa le Purgatoire, un «sas» entre Paradis et Enfer ! Les croyants devaient négocier financièrement avec leurs prêtres (sur terre) un hypothétique «stage» céleste dans cet entre-deux afin en allant se purger de leurs «péchés» de s'assurer leur montée éternelle en Paradis. L'Histoire a nommé ce scandale, le Commerce des Indulgences ! De plus ils croient non seulement à la résurrection de leur seigneur Jésus mort crucifié mais également à celle de leur propre corps à la fin des temps. Mais où va-t-on loger tous ces revenants ? Quelle vanité!

Mon point de vue sur la Mort ? Durant mes 70 ans de vie j'ai subi maintes interventions chirurgicales sous anesthésie générale ; récemment entre novembre 2014 et janvier 2016, j'en ai subi cinq. Entre le moment où l'anesthésiste vous pique et votre réveil, vous vivez un sommeil sans rêve dans un noir total. Pour ma part, c'est cela la mort : un noir total, une anesthésie générale dont on a aucune conscience. Aussi simple que ça! En conséquence une disparition que je ne redoute pas puisque je ne la «vivrais» pas. D'où un des sens du titre de ces pages : il n'y a pas de point de vue possible sur la Mort, sauf le point de vue – métaphorique - de l'appareil photo (l'autre sens).

Mais pour être honnête, je n'ai pas encore envie de mourir malgré la maladie incurable qui ronge mes poumons et surtout, je ne souhaite pas mourir dans un centre de soins palliatifs rattaché à des tuyaux. J'espère avoir le courage de me suicider avant la déchéance totale; puis de me faire simplement incinérer... sans vanité !

Je pense que ma collection de crânes humains, le squelette qui accueille mes invités dans l'entrée de mon appartement et mes créations photographiques ont pour fonction d'apprivoiser la camarde si ce n'est de la repousser. Je me surprends à parler intérieurement aux crânes qui me regardent de leurs yeux vides, je les manipule avec précaution: avez vous souffert, été souvent malades, fait la guerre, été heureux, père ou mère de famille ? Riche, pauvre, beau, laid..? Comment êtes-vous arrivés à cet état?

Ma thèse de doctorat s'intéresse aux enfants de 3 à 12 ans dans leurs rapports cognitifs et affectifs avec les fictions audiovisuelles (TV, Cinéma, Jeux vidéo)1: j'ai consacré un chapitre à la tradition commerciale et ludique d'Halloween 2. Dans ce cadre universitaire, j'ai analysé la fascination des jeunes enfants pour les représentations de squelettes, de morts-vivants, de sorcières, prégnantes lors de cette fête et en 2009 j'ai commencé une série intitulée: Vanité de l'enfance, enfants et vanités.

Pour celle-ci, terminée en 2015, je n'ai photographié que de jeunes modèles âgés de 3 à 12 ans, tels ceux qui avaient participé de ma recherche. Ils caressent des crânes, les embrassent, les regardent tels de jeunes Hamlet, jouent avec des fémurs, sont couronnés de vertèbres humaines, etc.

Attention ! (Hamel : 2011 )
Le Trophée (Dorian : 2009 )
Double-Je (Elora : 2010 )

Ces enfants ont joué le jeu avec un grand plaisir et souvent ont confronté les restes humains à leur «je». Mais les squelettes n'apparaissent pas seulement dans la photographie contemporaine mais à la télévision également.

Des squelettes livrent le secret de leur mort : une de mes séries télévisées favorites est BONES («Les os», titre de la série et pseudo de l'héroïne Temperance Brennan, âme de l'équipe d'anthropologues judiciaires qui s'active depuis 2003 sur nos écrans (actuellement 11e saison et il y en aura une 12e et dernière). La formule de chaque épisode est identique: découverte d'un cadavre, son squelette assez visible sous le peu de chairs ou carrément exposé. Puis analyse des tissus s'il en reste puis décapage du squelette. Ainsi mis à nu, si l'on peut dire, il est examiné à la loupe et au microscope: traces de coups, de blessures contondantes, d'anciennes fractures, dentition et à partir du crâne, reconstitution faciale pour identifier la victime; enfin enquête pour trouver le(s) coupable(s)... Chaque geste clinique et chaque terme scientifique employé participent de la réalité de la pratique, cette série étant inspirée par les scénarios d'une célèbre anthropologue judiciaire Katie Reich, de surcroit écrivaine de polars. D'autres séries TV mettent en scène des laboratoires de médecine légale (Body of Proof, Les Experts, Rizzoli & Isles, NCIS) traitant de cadavres mais pas spécialement réduits à l'état de squelettes.

La mort participe du cycle vital et c'est peut-être ça le sens que des mots de Cocteau. Que serait notre petite planète envahie, surpeuplée d'immortels ? Les cendres d'une incinération servent d'engrais, les corps dans les cercueils sont rongés par les vers, etc. Tout se transforme et retourne à la nature. Ainsi soit-il ! En tant que photographe plasticien, certaines de mes photographies collectionnées par des institutions et des collectionneurs privés me survivront, à condition qu'elles ne soient pas oubliées dans des réserves. Une manière de sesurvivre un temps, donc ! Quelle vanité !

Jean-Baptiste Carhaix - avril 2016

1Menguy A. (patrônyme) : L'enfant et la télévision. Jeune public et fiction audiovisuelle. Ed. Universitaires européennes. 433 pages en caractère 6 ! Envente chez Amazon : 96, 91 euros.