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Méthode d'embaumement du Dr Gaston-Félix-Joseph Variot


source : Mémoires de la Société médicale des hôpitaux de Paris séance du 17 octobre 1890

En 1890, le Docteur Gaston-Félix-Joseph Variot (1855 - 1930) propose, pour obtenir des momies indestructibles, d'appliquer à la conservation du corps humain, dans sa totalité, les procédés galvanoplastiques. Il appellera son procédé l’anthropoplastie galvanique.

La galvanoplastie est un procédé qui consiste à appliquer au moyen d'un courant électrique continu, un dépôt métallique à la surface d'un objet. Cette technique est utilisée soit pour préserver l'objet de l'oxydation, soit pour l'embellir, soit encore pour en prendre l'empreinte. Le Docteur Variot, lui, souhaite déterminer les principales conditions qui permettraient la métallisation du cadavre humain et sa transformation en une momie métallique.

Le problème est plus complexe du point de vue technique que scientifique, et Variot n’est pas le premier à tenter l’expérience. Ainsi dès 1854, Soyer a tenté de métalliser le corps d'un enfant (1). De même, le docteur Oré en 1877 (2) , métallisait avec succès des pièces anatomiques. Signalons également qu’à l'exposition de 1878, on pouvait admirer toute une collection de cerveaux préalablement durcis, puis recouverts d'une enveloppe de métal : cuivre, argent, nickel et or. La volonté d’appliquer ce procédé à l’embaumement n’est donc pas totalement nouvelle mais Variot va pousser l’expérience très loin ...

Voici sa technique :

"Nous avons pris, comme objet d'étude, des cadavres d'enfants nouveau­nés, parce que, d'une part, la surface cutanée enveloppante n'est pas extrêmement étendue et, d'autre part, pour ne pas avoir trop à compter avec les premiers effets de la putréfaction. D'ailleurs notre installation bien primitive et nos modiques ressources ne nous permettaient pas de faire nos recherches sur une plus grande échelle.

Après divers tâtonnements, nous avons adopté l'un des procédés de métallisation les plus parfaits connus maintenant par les galvanoplastes. La peau a été d'abord badigeonnée avec une solution concentrée de nitrate d'argent. On peut avec avantage pulvériser la solution sur la surface cutanée. Le sel d'argent pénètre ainsi, après avoir imprégné l'épiderme jusque dans le derme. Nous nous sommes servi des vapeurs de phosphore blanc dissous dans le sulfure de carbone pour réduire la couche de nitrate d'argent étalée à la surface de la peau.

La surface cutanée, d'un noir opaque, prends sous l'influence des vapeurs phosphorées des reflets brillants argentés indiquant que la pièce est devenue bonne conductrice.

Le Voleur illustré : cabinet de lecture universel. 1856-1907

Cette métallisation initiale change la coloration et la consistance du derme, mais n'altère en rien la plasticité des formes. La peau est devenue noire, ferme, presque rigide et à peu près imputrescible.

Avant de procéder à cette opération, qui fait perdre à la peau son élasticité, il faut prendre la précaution de fermer les paupières et la bouche, de placer les membres dans la position qu'ils devront occuper définitivement.

Lorsque les parties organiques, destinées à être recouvertes de métal, n'ont qu'une étendue limitée, il est relativement aisé de les fixer dans le bain et de répartir le courant à leur surface. Un bras, une tête d'enfant, peuvent être immergés directement dans la solution de sulfate de cuivre, à l'aide d'un gros fil suspenseur isolé auquel s'attache un réseau de menus fils conducteurs pour multiplier les contacts.

Mais le dispositif est forcément plus compliqué quand il faut fixer complètement un cadavre entier, même celui d'un enfant, dans une position aussi stable que possible ; quand il faut suppléer, en quelque sorte, à la rigidité qui manque.

On arrive, sans trop de difficultés, à métalliser des plâtres, des maquettes de terre glaise et même des cerveaux bien durcis, comme l'a fait M. Oré ; mais toutes ces pièces sont fermes et résistantes et nullement comparables au corps humain envisagé, dans sa totalité. Même après la métallisation initiale, dont nous avons rapporté les premiers effets sur la peau, les divers segments des membres gardent une certaine flaccidité qui leur permettrait de se déplacer, si on n'assurait pas leur stabilité par des supports convenables.

Voici quelques détails sur notre modus faciendi pour fixer le cadavre d'un enfant, avant qu'il ne soit plongé dans le bain galvanoplastique. Le corps de l'enfant a été perforé à l'aide d'une tige métallique introduite par l’anus et poussée fortement au travers de l'abdomen et du thorax jusque dans le cou. A petits coups de marteau on a fait pénétrer cette tige axiale dans la cavité crânienne, jusqu'à ce qu'elle vienne buter contre la voûte du crâne. Par cet artifice, la tête a été immobilisée dans l'altitude légèrement penchée que nous recherchions.Pour laisser libre l'échappement des liquides et des gaz intestinaux, la tige perforante employée était creuse, cannelée en gouttière. Le cadavre de l'enfant monté sur cet axe a été placé dans une sorte de cadre prismatique à quatre montants réunis en haut et en bas par des plateaux carrés. On a enfoncé la lige de support comme un pivot dans un tube métallique situé au centre du plateau inférieur du cadre prismatique.

Dans cet appareil, pour compléter la fixation de la tète, un contact métallique, dentelé, en couronne descend du plateau supérieur et appuie légèrement sur le vertex.

Les jambes sont un peu fléchies sur les cuisses par le relèvement des deux pieds dont la face plantaire repose sur deux contacts. La paume des mains est de même appuyée sur des contacts, de manière que les avant­bras soient fléchis sur les bras. En outre, des contacts ont été échelonnés sur les quatre montants métalliques du cadre prismatique, pour être appliqués aux points voulus, avec la possibilité de les déplacer à volonté.

Il est à peine besoin d'ajouter que toutes les parties conductrices du cadre­support, aussi bien que les fils conducteurs servant de contacts, ont été soigneusement isolés avec du caoutchouc, de la gutta ou de la paraffine ; notre source d'électricité étant alimentée par une petite batterie de trois piles thermo­électriques Haudron. [..] il est nécessaire avant toute métallisation, de remplir le système vasculaire du cadavre avec une bonne injection antiputride. Nous recommandons spécialement les solutions mixtes et concentrées de chlorure de zinc et d'acide phénique.

La masse à injection sera rendue plus pénétrante par l'adjonction de glycérine, et elle devra être peu abondante pour ne pas déformer les traits du visage par l'infiltration sous­cutanée.

Lorsque l'injection est poussée avec trop de force ou en trop grande quantité, le liquide a tendance à transsuder au travers des capillaires dans le tissu cellulaire ambiant.

Il faudra faire le lavage de l'estomac avec une sonde introduite par l’œsophage et remplacer les liquides retirés par une solution forte d'acide phénique. De même on videra le gros intestin par des irrigations répétées avec une solution antiseptique. La bouche, les fosses nasales, seront lavées de la même manière.

Le globe oculaire par l'évaporation à l'air libre perd son humidité, se flétrit, se rétracte et l'orbite du cadavre semble ainsi plus creux. Une injection avec de la paraffine dans le globe de l’œil remplacera l'eau des humeurs vitrées et les paupières s'affaisseront d'autant moins.

Les fentes buccale et palpébrale, les conduits auditifs seront obturés soigneusement avec des mastics conducteurs, car si ces orifices étaient laissés ouverts, ils deviendraient de véritables soupapes d'échappement par lesquelles s'écouleraient les liquides et les gaz repoussés au dehors de l'écorce métallique par la pression intérieure.

Si la température extérieure était élevée, pendant l'été, par exemple, nous conseillerions, après l'injection stérilisante, d'évacuer, à la manière ancienne, tous les viscères abdominaux par une incision faite sur la ligne blanche. Ces organes ne seraient replacés dans l'abdomen qu'après immersion et lavage dans des solutions antiseptiques fortes.

Ces précautions prises, il faut procéder ensuite aussi rapidement que possible ; la métallisation initiale sera faite quarante­huit heures au plus après la mort. Quant au dépôt galvanique, il doit être obtenu en six ou huit jours : la rapidité d'exécution est une condition sine qua non du succès.

Lorsqu'on est parvenu à assurer la stabilité des diverses parties du cadavre, et à empêcher les déformations et les voussures qu'amène la putréfaction, toute la peau, enduite d'une couche d'argent, est comparable à la surface d'une statue de plâtre qu'on aurait rendue conductrice. Sur la pièce organique, après son immersion dans le bain de sulfate de cuivre, le dépôt se fait avec régularité sous l'influence du courant. Les molécules du métal viennent s'apposer en quelque sorte sur la peau formant une couche bientôt continue.

Les sources d'électricité doivent être réglées avec grand soin, dans la crainte que le dépôt de cuivre ne soit grenu et manque de cohérence. Les artistes en galvanoplastie connaissent bien toutes ces difficultés techniques.

Mais en même temps qu'il faudra veiller à ce que la qualité du dépôt soit satisfaisante, il faudra encore graduer sa quantité.

L'opération qui consiste à métalliser un cadavre entier a surtout pour but de le conserver, en le modelant extérieurement avec une couche de métal. On cherche à substituer à la peau, qui est si altérable par la putréfaction, une écorce métallique qui se moule sur toutes les parties sous­jacentes ; il faut que le moule surajouté qui sert à l'embaumement soit fidèle et rappelle exactement les détails de conformation et les traits de la physionomie du corps qui sera inclus dans l'enveloppe. Il sera donc indispensable de surveiller attentivement l'épaisseur du dépôt jeté sur le visage, sur les mains, sur toutes les parties plus délicates. Une couche de cuivre suffisamment mince respectera non seulement les formes générales, mais aussi les plus petites aspérités et les plus petites dépressions. Au contraire, avec une couche épaisse, les détails de configuration seraient atténués, se fusionneraient, et il en résulterait un empâtement qui nuirait à la ressemblance générale.

Nous pensons qu'on pourra parer à ces graves inconvénients, car la résistance et la ténacité du cuivre employé pour la métallisation sont très grandes, même lorsqu'on considère des lames mices.

Un bon dépôt de 1/2 à 3/4 de millimètre d'épaisseur offre une solidité suffisante pour résister au ploiement et aux divers chocs extérieurs.

Il faut avoir égard aussi à ce que l'enveloppe de cuivre qui recouvre la tête, le tronc, les membres, partout continue, présente peu de surfaces angulaires, mais forme plutôt des surfaces sphériques et cylindriques ; or cette disposition accroît notablement la résistance de la cuirasse.

L'épaisseur de 1/2 à 3/4 de millimètre ne sera pas dépassée pour l'enveloppement métallique du visage et des mains qui seront ainsi rigoureusement moulées. Sur le tronc, l'abdomen, les premiers segments des membres, le cou, la conservation intégrale des formes plastiques est beaucoup moins importante ; aussi, si on le juge utile pour consolider la momie métallique, on atteindra une épaisseur de dépôt de 1 millimètre à 1 millimètre 1/2.

On pourra soustraire le visage et les mains à l'action du courant pour les réserver, et on les enduira, quand la couche de cuivre sera assez solide, avec un vernis isolant; on les épargnera,comme disent les galvanoplastes, pendant qu'on renforcera les parties du corps plus lourdes et plus massives.

L'écorce métallique ainsi jetée à la surface de la peau est inaltérable et le corps se trouve transformé en une véritable statue indestructible.

Après l'opération du cuivrage, qui est essentielle, avons­nous besoin de faire remarquer que l'argenture et la dorure ne sont que des manœuvres d'une extrême simplicité.

Le jeune enfant métallisé que nous présentons actuellement n'est certes pas un type parfait de momie galvanisée ; mais en examinant ce spécimen, on se fera une idée approchée des résultats auxquels on arriverait sans doute en utilisant les ressources des grands ateliers de galvanoplastie

Nous devons nous demander quelles modifications la momie métallique pourra subir avec le temps. Il est bien évident que le moule de cuivre extérieur échappe absolument aux fermentations putrides ; si cette enveloppe s'altère, ce ne sera que par l'oxydation.

On doit prévoir également les actions mécaniques, les violences extérieures, les chocs qui pourraient endommager et même briser la mince lame de cuivre. Ces derniers accidents seront réparés par des soudures.

Que deviendra le cadavre lui­même dans son enveloppe de métal exactement juxtaposée sur la peau et hermétiquement close ? La statue galvanique suffirait­elle, à elle seule, pour former le cercueil d'un corps humain préalablement injecté et embaumé. Il est plausible de le supposer, a priori, car le dépôt uniformément jeté sur la peau constitue par son ensemble une boîte fermée hermétiquement. Le travail de la putréfaction, à supposer qu'il commençât malgré toutes les précautions prises, ne serait pas alimenté et s'arrêterait bien vite probablement.

Mais cette hypothèse n'est que vraisemblable,et comme nous n'avons pas encore conservé de momie métallique pendant un long temps, nous ne voudrions pas affirmer que le dépôt galvanique, dans ces points faibles, résisterait à une forte pression intérieure des gaz putrides s'ils se développaient en grande quantité.

Le moyen le plus simple qui s'est présenté à notre esprit pour rendre tout à fait imputrescible le cadavre métallisé, c'est de le dessécher à l'étuve. La momie serait perforée en diverses places pour faciliter l'issue des vapeurs, des gaz et des graisses pendant l'étuvage : les trous d'échappement seraient obturés plus tard par des soudures. Après un séjour de vingt­quatre heures dans une étuve chauffée à 100 degrés, le corps serait desséché et stérilisé. La plupart,sinon la totalité, des germes putrides seraient détruits.

Une telle momie, préparée avec tant de soins, laissera bien peu à désirer au point de vue hygiénique. La lame de cuivre enveloppante ne risquera plus d'être fissurée sous l'influence de la pression des gaz intérieurs, et si elle vient à être rompue en quelque place par un choc accidentel, aucune émanation délétère ne sera à redouter.

D'ailleurs, nous croyons qu'on peut aller plus loin encore dans cette direction et nous ne voyons aucun obstacle absolu à ce que l'incinération soit pratiquée à l'intérieur du moule.

La température de fusion du cuivre pur est de 1000 degrés. Or, les matières organiques sont combustibles à des températures inférieures. Sur de petits lambeaux de peau bien métallisés, nous avons fait quelques essais et nous avons remarqué que le tissu dermique avait été réduit en cendres, sans que la qualité et la forme du dépôt de cuivre aient été altérés par la chaleur nécessaire à la combustion de la substance organique.

Sans doute si l'on voulait incinérer une momie métallique entière, l'opération deviendrait beaucoup plus compliquée ; il faudrait ménager des trous assez nombreux pour permettre l'échappement des produits de combustion. Nous avouons n'avoir pas encore résolu toutes les difficultés pratiques d'une incinération faite dans de semblables conditions ; néanmoins, d'après ce que nous avons dit plus haut, la combustion du cadavre ne saurait être regardée comme impossible. Après son passage au feu, le moule galvanique, bien fermé, servirait d'urne funéraire.

Toutes les descriptions qui précèdent montrent, croyons­nous, l'utilité et les avantages de ce mode de conservation du corps humain. Il est établi que la galvanoplastie nous permet de conserver d'une manière indestructible les traits et les formes générales d'un homme mort.

On comprend si bien l'insuffisance des embaumements, qu'on s'empresse de prendre le moule du visage des cadavres, d'en faire des reproductions photographiques. Le peintre, le graveur, le sculpteur se serviront de ces derniers documents, car l'original va disparaître ou tout moins s'altérer et devenir méconnaissable.

Au point de vue artistique, le moule fidèle et sincère jeté sur le visage par les procédés galvanoplastiques, serait utilement consulté.

L'artiste chargé d'animer, de vivifier les traits de l'homme dont on veut perpétuer la mémoire, se reporterait à la momie métallique comme à un modèle immuable.

La substitution d'une enveloppe métallique à la peau elle­même est de nature à diminuer l'horreur naturelle pour la mort : le corps est présent, mais masqué par un moule extérieur qui n'a rien de repoussant. Nous sommes familiarisés avec les représentations de l'homme par le bronze, le marbre ; or, rien ne ressemble plus à une statue qu'un cadavre métallisé.

Il est vraisemblable que ces moules pourraient être exposés dans les caveaux funéraires, sans choquer les regards, sans impressionner aussi douloureusement que les momies desséchées.

Enfin, peut être est­il des personnes qui envisagent la mort avec d'autant plus d'effroi qu'elle n'est que le prélude de la décomposition putride, de la désagrégation des diverses parties du corps. La perspective de la momification métallique aurait quelque chose de rassurant pour ces esprits timorés.

(*) La question de la métallisation du système pileux ne laisse pas que d'être embarrassante ; nous n'avons pas eu à nous en préoccuper sur notre enfant. Sur l'adulte, il faudrait probablement masser les poils avec un mastic, comme le font les sculpteurs pour l'argile et les métalliser en bloc."

(1) "Nous nous souvenons d'avoir vu, dans le vestibule de l'Institut, en 1854, un spécimen assez curieux des produits de cet art singulier. M. Soyer avait réussi à envelopper le cadavre d'un enfant nouveau­né d'une couche de cuivre. Bien que le résultat fût merveilleux de réussite, c'était un spectacle assez hideux."

Les Merveilles de la science ou description populaire des inventions modernes. Télégraphie aérienne, électrique et sous­marine, câble transatlantique, galvanoplastie, dorure et argenture électro­chimiques, aérostats, éthérisation / par Louis Figuier page 303

(2) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63147886/f849.image